C’est à une table du 1er arrondissement que nous avons rencontré Paul-François Schira. Ce jeune haut fonctionnaire, qui n’a pas encore trente ans, a récemment publié La demeure des hommes, une ode à l’enracinement préfacée par François-Xavier Bellamy, autre esprit brillant qui a choisi, quant à lui, de se jeter dans l’arène politique. C’est donc tout naturellement que notre conversation a tourné autour de cette thématique au centre de la philosophie conservatrice.
La Nouvelle Garde : Notre première question concernera la place des intellectuels dans le débat politique français. Si les victoires politiques suivent invariablement celles culturelles, nous avons pu penser que la France nécessitait aujourd’hui l’implication des intellectuels conservateurs dans le combat électoral, tant notre pays souffre de plus de quarante ans de Consensus progressiste et tant la droite reste toujours aussi rétive à sortir de la minorité dans laquelle elle évolue depuis ces mêmes quarante années. Mais cette opinion a pu être mise à mal par le sort réservé à François-Xavier Bellamy et le contraste entre sa personne et le reste du personnel politique, de droite comme de gauche. Comment pensez-vous le rôle de l’intellectuel dans le débat à la fois métapolitique et électoral ?
Paul-François Schira : Le débat public en France me semble souffrir de deux excès : un excès d’idéologie, et un excès de technicisme. D’un côté, l’excès d’idéologie se manifeste par le brassage de mots-valises, de concepts fumeux et de pensée unique. Il se voit aussi par la grande violence verbale des adversaires qui s’affrontent, avec condamnations au bûcher et inquisitions médiatiques en prime. De l’autre côté, l’excès de technicisme tend à ramener tout débat d’idée à la gestion administrative du quotidien, sans projet politique de long terme. D’où l’impression de ne faire que courir d’une réforme à l’autre : il y a en France une sorte d’épuisement dans la surenchère des solutions qui sont promises, par le gouvernement ou par l’opposition. On passe ainsi de l’invective assassine ad hominem à l’avalanche de chiffres auxquels on fait dire n’importe quoi.
Entre ces deux excès idéologiques et technocratiques, c’est le maillon proprement politique qui manque. Celui qui est capable d’exprimer clairement une vision réfléchie de la société, et les quelques mesures qui permettent de la concrétiser. Il faut faire ce travail de va-et-vient pour pouvoir expliquer les choix que l’on défend, pour leur donner un sens. Le débat sur l’immigration est à cet égard assez symptomatique. On ne sait plus exactement pourquoi certains exigent de mieux maîtriser les flux migratoires. Eux-mêmes ne le conscientisent d’ailleurs pas forcément. Le débat est soit idéologique (les xénophobes contre les généreux, les réalistes contre les utopistes d’une nation-monde), soit technocratique (multiplier par dix le budget de Frontex, voter des quotas au Parlement, relocaliser les migrants, etc). La césure entre ces deux approches est délétère. Il faut pouvoir rappeler que ce n’est pas par égoïsme radin ou par esprit de compromis politique avec une frange, hélas irréductible, de xénophobes que la maîtrise des frontières se justifie. C’est en raison d’une vision anthropologique de la société : un pays n’est pas un espace neutre dans lequel les individus s’insèrent au gré des soubresauts de leurs vies personnelles. C’est une communauté de destin fragile, à laquelle il convient, pour en cultiver et en transmettre le génie singulier, d’intégrer concrètement ceux qui souhaitent y déposer leurs bagages.